Musée d'Art contemporain
Paris, France, 1931
© FLC/ADAGP
INFOS PRATIQUES
Projet non réalisé
Lettre de M. Le Corbusier à M. Zervos, édition des « Cahiers d’Art », Paris
Mon cher Zervos,
Laissez-moi vous apporter ma contribution à l’idée de la création d’un musée d’art moderne à Paris. Ce n’est pas un projet de musée que je vous donne ici, pas du tout. C’est un moyen d’arriver à faire construire à Paris un musée dans des conditions qui ne soient pas arbitraires, mais au contraire suivant des lois naturelles de croissance qui sont dans l’ordre selon lequel se manifeste la vie organique: un élément étant susceptible de s’ajouter dans l’harmonie, l’idée d’ensemble ayant précédé l’idée de la partie. Voici plusieurs années que cette idée est dans ma tête.
Voici en croquis hâtifs, l’image d’une conception sereinement née. Le principe de ce musée est une idée. Elle serait brevetable… si Cahiers d’Art veut prendre un brevet!
Le musée peut être commencé sans argent; à vrai dire avec 100.000 francs on fait la première salle.
Il peut se continuer par une, deux, quatre salles nouvelles, le mois suivant ou deux ou quatre années après, à volonté.
Le musée n’a pas de façade, le visiteur ne verra jamais de façade; il ne verra que l’intérieur du musée. Car il entre au cœur du musée par un souterrain dont la porte d’entrée est ouverte dans un mur qui, si le musée arrivait à une étape de croissance magnifique, offrirait à ce moment le neuf millième mètre de cimaise.
Poteaux standard, cloisons-membranes fixes ou amovibles, plafonds standard. Économie maximum.
Le musée est extensible à volonté: son plan est celui d’une spirale; véritable forme de croissance harmonieuse et régulière.
Le donateur d’un tableau pourra donner le mur (la cloison) destinée à recevoir son tableau; deux poteaux, plus deux sommiers, plus cinq à six poutrelles, plus quelques mètres carrés de cloison. Et ce don minuscule lui permettra d’attacher son nom à la salle qui abritera ses tableaux.
Le musée s’élève dans quelque banlieue ou grande banlieue de Paris. Il s’élève au milieu d’un champ de pommes de terre ou de betteraves. Si le site est magnifique, tant mieux. S’il est laid et attristé de pignons de lotissements ou de cheminées d’usines, ça ne fait rien: par la construction des murs de compartimentage, nous composerons avec… les cheminées d’usines. Etc., etc…
Mon cher Zervos, telle est l’idée de notre musée que je n’avais donnée jusqu’ici à personne. Je vous la donne. Maintenant, elle est dans le domaine public. Que la bonne chance vous accompagne !
Votre LE CORBUSIER, 8 décembre 1930
Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 2, 1929-1934