Urbanisme
Saint-Gaudens, France, 1945
© FLC/ADAGP
Au sortir de la seconde guerre mondiale, en mai 1945, Le Corbusier imagine un plan d’urbanisme visant à tripler la population (de 6000 à 20000 personnes) de la ville de Saint-Gaudens.
L’idée d’urbaniser la région prend vie dès 1943. A cette date, M. André Prothin, alors Directeur de l’Urbanisme au sein du M.R.U, confie à Le Corbusier, Marcel Lods et Urbain Cassan, l’urbanisation de la ville nouvelle de Saint-Gaudens, urbanisation motivée par la découverte quelques années auparavant d’un gisement de gaz à proximité. Il faut attendre le printemps 1945 pour que cette entente conclue quelques années plus tôt, mais restée secrète en raison de l’occupation allemande, devienne effective.
Initialement, Le Corbusier était chargé des dessins, Cassan de l’administration et Lods de l’exécution, mais empêché par des activités au Ministère, Cassan se retire du projet à la Libération. Le plan directeur proposé par Le Corbusier tend à créer un pôle économique autour de l’activité pétrolière de la région. L’installation de deux grands établissements industriels (aéronautique et électromécanique) conçus sur le modèle de l’usine verte (comme celle imaginée pour Moutiers-Rozeille) est prévue. Ces usines doivent accueillir prés de 1500 ouvriers.
Pour rendre pérenne son projet d’urbanisation, Le Corbusier propose la construction d’une cité administrative ainsi que deux types d’habitation : une cité-jardin verticale d’une capacité de 5000 personnes et une cité-jardin horizontale. Comme toujours, Le Corbusier pense la circulation en multipliant les voies d’accès : routes, autoroute, chemin de fer, chemins piétons et voie fluviale grâce à la proximité de la Garonne. Le programme soumis par le M.R.U à Le Corbusier spécifie la nécessité d’une « qualité architecturale de premier ordre de façon à embellir le paysage ».
Le projet, comme trop souvent, sera abandonné, vraisemblablement en raison d’un changement de majorité politique. Le départ de Raoul Dautry du M.R.U privera Le Corbusier d’un précieux soutien. Toutefois, vingt ans après, l’aménagement de la ville s’inspirera fortement des esquisses laissées par Le Corbusier.
Le pétrole a jailli dans les Pyrénées, ou du moins, pour l’instant, le gaz de pétrole. Des pipe-lines le conduisent à Toulouse, Tarbes, Bordeaux, Sète. Le siège de la Société concessionnaire est à Saint-Gaudens, petite ville ancienne des Pyrénées, qui se trouve subitement réveillée. La vallée des Pyrénées sera industrialisée. Mais il s’agit d’éviter la catastrophe pour ce site magnifique. Un urbanisme à trois dimensions peut au contraire créer des spectacles architecturaux en intime accord avec le paysage. Ce sont des vues d’ensemble qui, gérant toute la vallée, de Toulouse à Tarbes, pourront faire la part exacte des territoires à laisser à l’agriculture, et celle de ceux qui sont à consacrer à l’industrie. Des mesures rigoureuses permettront de situer l’industrie à des endroits précis, et de créer les conditions d’habitation et de travail les plus favorables pour les ouvriers.
Ce premier exemple de Saint-Gaudens est caractéristique. L’industrie limitée à deux établissements d’une puissance d’environ 1500 ouvriers sera localisée dans une boucle de la rivière au pied du plateau sur lequel se trouve la ville. L’afflux des nouveaux habitants (environ 5.000) nécessitera la construction d’une cité de résidence qu’on séparera nettement de l’ancienne ville dont les habitudes n’auront pas à être troublées. La forme de ce groupe d’habitation sera dictée par les conditions mêmes du terrain (proue au sommet d’une falaise). Les formes des bâtiments répondront aux horizons, aux vues, et à l’ensoleillement. Les vents, très violents à cet endroit, seront combattus par ces pans de verre rendus hermétiques, installés au fond du brise-soleil. On a, dans cette étude, donné une importance toute particulière à l’implantation architecturale créatrice de formes capables de susciter des faits plastiques éminents. Dans cet ordre d’idées, l’ancienne petite ville verra s’élever son centre des forces civiques et civiles qui rassemblera en un seul édifice dont le volume jouera avec celui de la cathédrale, les locaux nécessaires aujourd’hui pour l’administration et pour les besoins sociaux d’une agglomération moderne.
Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 4, 1938-1946