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Une nouvelle polychromie pour l'Immeuble Molitor

Une nouvelle polychromie pour l'Immeuble Molitor

Lettre ouverte

Les experts de l’œuvre architecturale de Le Corbusier s’émeuvent de travaux récents réalisés sans concertation et sans prise en compte de l’avis des experts et des spécialistes de la restauration de l’architecture contemporaine. Il s’agit des travaux de la façade du 24 rue Nungesser et Coli de l’Immeuble à la Porte Molitor, entre le XVIe arrondissement de Paris et Boulogne-Billancourt. Cette intervention et notamment le choix des teintes, modifient de façon importante l’état connu de la façade de cet immeuble dont les deux derniers niveaux ont été occupés par Le Corbusier entre 1934 et 1965.

Ce chantier doit reprendre à l’automne avec la restauration de la façade coté Boulogne, 23 rue de la Tourelle. La Fondation Le Corbusier, détentrice du droit moral et garante de l’intégrité de l’œuvre de Le Corbusier espère que les échanges avec les experts ainsi que l’étude des rapports et documents mis au jour, pourront à l’avenir permettre de valider de façon collégiale les choix de la maîtrise d’œuvre.

Antoine Picon, Président de la Fondation Le Corbusier

Lettre ouverte des experts de l'œuvre architecturale de Le Corbusier

Juillet 2024

Les échafaudages qui se dressaient récemment sur le 24, rue Nungesser-et-Coli sont démontés. La façade en partie restaurée de l’Immeuble Molitor a un nouveau visage, celui de l’état 1965, soit la dernière intervention du vivant de Le Corbusier. Le choix de la « restitution », s’il n’est pas soutenu par des éléments probants quant à son état de référence, et que sa mise en œuvre n’est pas faite avec le plus grand soin pour la matière originale, démontre les limites de cette option déontologique majeure. La façade est ainsi très pâle, non pas que les interventions aient été insignifiantes, mais parce que le dessin des éléments métalliques, que Le Corbusier et Pierre Jeanneret aimaient à souligner car ils enserraient les volumes clairs, ont une teinte gris très claire justement, un RAL 7037 proposé puis littéralement imposé par la maîtrise d’œuvre contre l’avis de la Fondation Le Corbusier et ses experts, architectes, conservatrices, restauratrices, chimistes, etc. La teinte aura remplacé, certes, la malheureuse teinte noire appliquée hâtivement auparavant. Mais ce choix apparaît toutefois comme arbitraire, insuffisamment attesté dans la riche documentation historique mise à disposition par la Fondation Le Corbusier, ni par une campagne d’études stratigraphiques tant colossale qu’incompréhensiblement lacunaire.

La Fondation Le Corbusier n’a pas été écoutée, dans la restauration d’une œuvre inscrite sur la liste du Patrimoine mondial qu’elle chérit tout particulièrement et dont elle est en partie propriétaire et gestionnaire, qui est probablement le joyau de l’architecture de Le Corbusier, avec son propre appartement-atelier en attique. Ses recherches, suggestions, sollicitations, propositions de dialogues scientifiques et d’investigations historiques notamment sur les archives papier et iconographiques sont restées lettre morte, tout au plus manipulées pour alimenter un dossier qui, dès les premiers sondages, a pris une direction à sens unique. Nous voilà donc devant le fait accompli, l’urgence du démontage des échafaudages étant invoquée, les Jeux Olympiques floutant le peu de concertation préalable.

Sur le fond, la question qui se pose est celle de savoir et comprendre comment éviter une situation qui ne convainc personne, le gris trop clair qui sera sous les yeux du monde en tant que composante de la série inscrite sur la Liste du patrimoine mondial, et ce pour un temps certain. Comment faire pour que la correction, à défaut de l’excellence que mérite l’œuvre Immeuble Molitor, soit respectée dans le processus de restauration ? Que la Fondation Le Corbusier, et les experts qui y sont convoqués, qui apportent des réponses sérieuses et argumentées aux questions délicates toujours difficiles et incommodes que pose la restauration de l’œuvre de Le Corbusier, aient une réelle écoute de la part de la maîtrise d’œuvre, une réelle considération, et non pas la suspicion d’être des empêcheurs de restaurer rapidement à défaut de conserver le plus scientifiquement possible ?

Sûrement ne faudra-t-il plus jamais jouer sur la question des délais. Et tout aussi sûrement en s’assurant et en déterminant les teintes collégialement et avec l’ensemble des acteurs concernés par une restauration de cette importance, en amont du chantier, comme cela devrait se faire dans toutes les restaurations correctes, sur les bâtiments de bien moindre valeur. Car c’est une règle basique qui n’a pas ici été respectée et a entrainé un choix plus que contestable et une situation d’autorité confisquée très désagréable. L’absence d’une stratégie globale établie en amont du chantier quant au traitement chromatique et aux mesures conservatoires de l’enveloppe – les serrureries en acier, mais aussi les pans maçonnés, les joints entre les pavés de verre Nevada, les tôles ajourées des garde-corps – a conduit à une interprétation de l’œuvre pour le moins douteuse, à tout titre regrettable.

Souhaitons donc qu’au prochain rendez-vous, soit la restauration de la façade arrière de l’Immeuble Molitor qui devrait être engagée à l’automne, l’on puisse ajuster le tir.

 

Olivier Cinqualbre, conservateur honoraire de la collection architecture, Centre Pompidou

Bénédicte Gandini, architecte-historienne

Franz Graf, architecte et professeur USI /EPFL, Lausanne

Marie-Odile Hubert, conservatrice-restauratrice d’œuvres peintes, spécialiste des peintures du XXe

Richard Klein, architecte et professeur Université de Lille

Giulia Marino, architecte et professeure UCLouvain, Bruxelles

Bruno Reichlin, architecte, professeur émérite de l’Université de Genève, et professeur honoris causa de l’ETH, Zurich

Arthur Rüegg, professeur émérite de l’ETH Zurich

Jacques Sbriglio, architecte

 

Le Corbusier, Immeuble Molitor © FLC / ADAGP / Frédéric Betsch
Immeuble Molitor, 2022 © FLC / ADAGP / F. Betsch
Immeuble Molitor, 2024 © FLC / ADAGP