Günther Förg
Le moderne
16 octobre — 14 décembre 2024
La Fondation Le Corbusier et Almine Rech ont le plaisir de présenter Le moderne, une exposition rétrospective de l’œuvre de Günther Förg à la Maison La Roche.
Günther Förg a toujours entretenu une relation complexe et profonde avec l’architecture à travers un travail artistique qui explore les liens entre l’abstraction, l’espace et l’architecture.
Il a puisé dans le vocabulaire formel du modernisme, tant en peinture qu’en architecture. Ses œuvres abstraites, souvent des monochromes, sont parfois structurées par des lignes géométriques et des blocs de couleurs qui rappellent les principes d’ordre et de simplicité associés à des mouvements architecturaux comme le Bauhaus ou le Style international.
Quel meilleur écrin pour présenter son travail que la Maison La Roche, conçue et construite au début des années 20 par Le Corbusier. La maison porte le nom de son commanditaire et propriétaire, Raoul La Roche, qui était banquier mais surtout collectionneur d’art cubiste et moderne. Cette collection, conçue en grande partie par Le Corbusier et le peintre Amédée Ozenfant, comprenait des toiles d’artistes comme Juan Gris, Picasso ou encore Fernand Léger.
L’architecture du bâtiment se divise en deux parties : une galerie qui présentait sa collection de peintures et ses appartements privés. La maison mitoyenne est réalisée pour la famille Jeanneret, frère de Le Corbusier. La Maison La Roche, ainsi que la Maison Jeanneret, restaurées à partir des années 1970, sont désormais classées au titre des Monuments historiques et inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Les nuances des couleurs intérieures des murs de la villa, redécouvertes lors de la restauration de 2008-2009, sont un essai précoce de la « polychromie architecturale » développée par Le Corbusier dans toute son œuvre. Le Corbusier ne voyait pas la couleur comme un simple élément décoratif, mais comme une composante essentielle de l’architecture, capable de transformer les espaces, d’influencer les perceptions et de structurer l’environnement. Il intégrait souvent des peintures murales dans ses bâtiments, qui participaient à cette polychromie architecturale.
Lors de ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Munich à la fin des années 70, Günther Förg commence à réaliser des peintures murales monochromes de diverses couleurs en référence aux lieux où elles apparaissent. Il inscrit d’emblée sa pratique dans un environnement où l’architecture sera l’un des éléments constitutifs de son œuvre afin de repenser le contexte de l’espace d’exposition et plus largement celui de l’art du XXe siècle.
Dans son atelier, il aimait s’entourer de maquettes qui lui servaient de modèles à ses futures commandes en lien avec l’architecture. Il en confiait leur réalisation à une spécialiste de la construction de maisons de poupées. Les deux maquettes présentées dans l’exposition, l’une de 1998 et l’autre de 2010, sont des projets de peintures murales pour des espaces d’exposition, dont l’une pour l’exposition ‘Permanent Trouble’ à la Collection Kopp.
Le lien entre la peinture de Günther Förg et la polychromie architecturale de Le Corbusier réside principalement dans leur approche commune de la couleur, de l’utilisation du monochrome ainsi que dans leur manière d’utiliser la couleur pour structurer l’espace et interagir avec l’architecture.
Förg, bien qu’il ne soit pas directement un disciple de Le Corbusier le référence directement dans certaines de ses œuvres. En effet, dès les années 1980, il commence à photographier les productions de l’architecture moderniste de l’après-guerre, comme l’héritage du Bauhaus en Israël ou celui du fascisme en Italie. Il a photographié plusieurs des bâtiments emblématiques de Walter Gropius et de Le Corbusier, notamment la Cité radieuse à Marseille, dont un exemple se trouve dans l’exposition, ou la Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp. Cependant, contrairement aux photographes d’architecture qui capturent des images lisses et idéalisées, Förg s’intéressait à la matérialité brute, à l’usure et aux traces laissées par le temps. Ses photos mettent en avant des détails tels que les textures du béton, la corrosion des matériaux, et la patine des bâtiments, soulignant une certaine fragilité et humanité dans l’œuvre de Le Corbusier. Ces photographies de grand format, encadrées et posées à même le sol contre le mur, comme dans l’atelier de l’artiste, afin de renforcer leur dimension sculpturale.
Conçue avec l’Estate de Günther Förg, cette exposition présente également des toiles conçues dans la dernière partie de la vie de l’artiste, entre 1994 et 2006. Dès les années 2000, la peinture de Günther Förg change, délaisse le minimalisme et adopte une gestuelle plus expressionniste, proche des graphs qui ne sont pas sans rappeler la peinture de Cy Twombly. Toutes ces œuvres sont réalisées à l’acrylique, un médium qui impose une certaine énergie, car il sèche rapidement, exigeant une exécution rapide et offrant peu de marge à l’erreur.
De format moyens, ces toiles exposées sur les murs peints en bleus ou verts de la villa, utilisent une palette de couleurs comme le marron, le vert ou le noir et font références aux grandes figures du modernisme tels Edvard Munch, Piet Mondrian, Paul Klee ou encore Barnett Newman qui constitue le panthéon de l’artiste.
C’est la première fois que les œuvres de Günther Förg sont présentées dans un espace domestique.1 Le lien entre la peinture de Günther Förg et la polychromie architecturale de Le Corbusier repose sur une compréhension commune de la couleur comme un élément structurant de l’espace. Pour Le Corbusier, la couleur, comme la lumière, était un outil fonctionnel et esthétique pour organiser les espaces architecturaux, tandis que Förg a poursuivi cette exploration dans le champ de l’art abstrait, en l’interrogeant dans une perspective critique. Si Förg a adopté les principes formels du modernisme, il en a néanmoins déconstruit les idéaux de perfection, d’ordre et de pureté à travers sa peinture.
— Nicolas Trembley, curateur & critique d’art
1. À part l’exposition collective ‘Chambres d’amis‘ en 1986, dans laquelle les artistes étaient invités par le curateur Jan Hoet à exposer hors du musée dans des maisons privées à Gand en Belgique.
Günther Förg
1952-2013
Günther Förg, né en 1952 à Allgäu en Allemagne, entame sa carrière artistique au début des années 1970 à l’académie des Beaux-arts de Munich où il est influencé par Blinky Palermo. Förg s’intéresse tout d’abord aux peintures monochromes en gris et noir, fondation du conceptualisme auquel il s’attache tout au long de sa vie. Il considère le gris comme une base neutre, ni blanche ni noire, libre des contraintes de la figuration. Suite à ses premières peintures monochromes, Förg poursuit ses recherches sur des thèmes modernistes sous des angles postmodernes. Malgré son exploration de techniques variées, dont la sculpture, la céramique et la photographie, la peinture reste sa technique d’expression principale. Son œuvre prolifique a été exposé dans des institutions prestigieuses telles que le Museum of Modern Art à San Francisco, le Musée d’Art Moderne de Paris, le musée Reina Sofia à Madrid, la Fondation Beyeler à Bâle ou encore le musée Stedelijk à Amsterdam.
Dans les années 1980s, la pratique de Förg comprend la photographie grand format, lui permettant de saisir des structures architecturales d’importance culturelle et politique, de Tel-Aviv à Moscou. Durant cette période, qui marque un éloignement temporaire de la peinture, il s’adonne à la photographie comme moyen de représentation plus proche de la réalité. Ses œuvres photographiques acquièrent une renommée internationale et sont exposées dans de grands musées comme le Kunsthalle Bern en Suisse ou le Solomon R. Guggenheim Museum à New York.
Förg revient à la peinture à la fin des années 1980 et inclut de nouveaux matériaux comme le bois, le cuivre, le bronze ou le plomb. Ses séries sur plomb, à l’acrylique sur des tôles de plomb montées sur des cadres en bois, brouillent les limites entre la peinture et la sculpture. Ses sculptures en bronze produites pendant cette période font également preuve d’une qualité picturale dont les textures rappellent des coups de pinceaux.
Au tournant du XXIe siècle, les peintures de Förg évoluent au-delà du minimalisme, arborant une palette plus vive et des marques expressives. Sa maîtrise de la couleur pour créer espace et forme ouvrent de nouvelles possibilités au sein de sa peinture. Des œuvres de cette époque, telles que Gitterbilder (peintures en grille), déploient des couleurs éclatantes et des hachures gestuelles, rapprochant son travail de celui de Cy Twombly, de Mark Rothko ou encore de Paul Klee. Les œuvres plus tardives de Förg s’approprient des stratégies plus anciennes de création d’images, les présentent sous un jour nouveau et indiquent une synthèse de son parcours expérimental, enraciné dans l’histoire de l’art. Comme il le dit lui-même : « la peinture est une pratique résistante ; elle reste à jamais présente et immuable à travers l’histoire ».
L’exposition est présentée dans le cadre de À Paris pendant Paris Photo