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Exposition

Exposition

Maison La Roche

Louis-Cyprien Rials —
Un stade en Irak

النظام هو مفتاح الحياة
Le Système est la clé de la vie

3 juillet — 25 juillet ⎥ 20 août — 28 septembre

L’artiste Louis-Cyprien Rials a réalisé plusieurs longs voyages en Iraq à la découverte de ses populations. Il y a observé les rites et les vestiges de l’histoire, des ruines sumériennes aux bâtiments modernes. Soutenu dans cette démarche par la Galerie Eric Mouchet, dont le directeur est également spécialiste de l’œuvre de Le Corbusier, Louis-Cyprien Rials a entrepris de nous donner sa vision d’un édifice emblématique et cependant mal connu : le gymnase de Bagdad, conçu par l’architecte à la fin de sa vie, terminé après sa mort et qui porta un temps le nom de Saddam Hussein avant d’abriter une prison. La Fondation Le Corbusier est heureuse de s’associer à ce projet en accueillant du 3 juillet au 28 septembre une exposition de ces œuvres récentes de Louis-Cyprien Rials, orchestrées et mises en espace par Guillemette Morel-Journel.

Le stade de Le Corbusier à Bagdad

12 juin 1955

Une lettre émanant du ministère des sports Irakien arrive au courrier de l’atelier 35, rue de Sèvres. Le gouvernement veut commander à Le Corbusier un stade de cinquante mille places – programme qui sera notoirement revu à la baisse – et un centre sportif comprenant un gymnase de près de 5 000 places.

12 mars 2024

Un courriel de l’artiste Louis-Cyprien Rials est adressé conjointement à l’ambassade de France à Bagdad, à la Fondation Le Corbusier et à la galerie Éric Mouchet à Paris. Il est en train de concevoir un travail sur le stade : ce qui fut conçu dans les années 1950, ce qui fut réalisé dans les années 1980, ce qui en reste aujourd’hui, dans la deuxième décennie du XXIe siècle.

Durant les soixante-dix années qui séparent ces deux événements, l’Irak aura été le siège de multiples bouleversements politiques : renversement du roi Fayçal II, assassinat d’Abdel Karim Kassem, coups d’état, essor parti Baas, arrivée au pouvoir de Saddam Hussein, révoltes kurdes, guerres civiles, purges, guerre contre l’Iran, guerres du Golfe, embargo, occupation des États-Unis, exactions de milices paramilitaires et de l’organisation État islamique… À pied, à moto, en bus ou en train, Louis-Cyprien Rials observe des territoires ravagés, des destins dévastés, comme il l’a déjà fait en Somalie, en Ukraine, au Kazakhstan, et dans beaucoup de pays non reconnus par les communautés internationales et dans des zones radioactives qu’il considère comme des « Parcs naturels involontaires ».

Louis-Cyprien Rials regarde et commémore ce qu’il reste d’une époque de faste, révolue, à une période dramatique : ici, dans une banlieue de Bagdad dénuée de toute aménité, peut-être moins détruite que le centre de la ville, une enclave, le témoignage d’une ère prospère où le pétrole ne se marchandait pas dans des arrière-salles : une célébration du sport, cette pratique saine pour des corps sains, des corps que les guerres n’ont pas encore brisés ; une célébration de grands événements qui, sans atteindre à la dimension mondialisée des jeux olympiques, avaient une vocation qui dépassaient largement la sphère nationale.

Le Corbusier n’aura jamais vu son œuvre achevée : elle a été livrée en 1980, quinze ans après sa mort. Aujourd’hui, le stade conserve presque miraculeusement ses formes : ici une rampe circulaire, là la lame aiguisée de la couverture des gradins, là encore des baies vitrées aux dimensions insaisissables. Contre toute attente, si on se rapporte à des constructions « modernes » contemporaines, le béton du stade reste très propre, presque trop lisse pour les matières brutes que Le Corbusier affectionnait. Au couvent de la Tourette comme dans les édifices du Capitole de Chandigarh, épaufrures et coulures donnaient aux façades une épaisseur presque tellurique, tandis que les surfaces glacées du gymnase, réalisées par une entreprise japonaise, semblent annoncer les parois impeccables que Tadao Ando réalise à travers le monde depuis les années 1980.

L’étape sportive de Bagdad n’est qu’un moment de l’odyssée mésopotamienne que Louis-Cyprien Rials a entrepris depuis 2011, dont il n’a de cesse de rapporter divers stigmates dans notre confortable Occident. Elle prend ici la forme de trois pièces qui témoignent des médiums coutumiers à l’artiste : la sculpture, la photographie et la vidéo, avec en outre une incursion du côté de la botanique.

Un profil en tôle

Il s’agit du fantôme en deux dimensions des silhouettes qui sont comme encastrées dans des murs en béton de la plupart des bâtiments d’après-guerre de Le Corbusier : le Modulor, système de mesures basé sur la suite arithmétique de Fibonacci, qui prend la forme d’un homme « standard » de 1,83 mètre – 2,26 lorsqu’il lève le bras. Cette interprétation d’une figure typiquement associée à l’architecte trouve un écho dans une photographie qui confronte la réalité du bâtiment aujourd’hui à cette image idéale : une femme enveloppée dans son abaya noire, qui fait face aux découpes de la sculpture en décaissé dont les lignes sont dilatées par les rayons du soleil.

Trois vidéos

Dans l’une, Louis-Cyprien Rials fait réaliser une interview d’un homme qui fut emprisonné dans le stade, lorsque ce dernier servit de geôle pour les forces armées américaines à partir de 2003. Croyant être invité pour parler de son passé douloureux, il ne comprends pas vraiment l’importance du bâtiment et se sent trompés quand au motif de cette invitation. Pour lui, les murs résonnent encore des cris des détenus, et certainement pas du chant des proportions justes.
Cette interview factice met en lumière un sentiment très largement partagé au Moyen Orient… La destruction de Palmyre ou du musée de Mossoul peut faire les gros titres de la presse internationale, mais personne n’a jamais entendu parler du massacre de Speicher (pour ne citer que celui-ci). En Occident, les pierres semblent valoir plus que le sang ; en l’occurrence, ici, le béton bien propre plus que les larmes des prisonniers irakiens.

Dans la deuxième, c’est le fantôme de Le Corbusier qui visite son oeuvre posthume suit le même parcours, commentant son ouvrage, finalement réalisé par Georges-Marc Présenté et Axel Mesny. Lui non plus n’est pas satisfait, il ne voit que les malfaçons d’origine, les ajouts intempestifs (vitraux, grilles, climatiseurs, faux-plafonds) que les utilisateurs ont apportés au fil des ans ; et puis, surtout, ses honoraires qui n’ont jamais été réglés !

Dans la troisième, une équipe de football handisport vient s’entrainer au gymnase, témoignant de la résilience et de l’importance du sport pour la population iraquienne.

Un herbier

Dès 1955, Le Corbusier s’enquiert des plantes et des essences qu’il faudra planter aux alentours du stade, sur ce terrain vague désolé. Il demande à ses interlocuteurs locaux une liste des espèces indigènes plusieurs fois, mais point de trace d’un quelconque retour. Pour pallier cette lacune archivistique (ou la non-existence du document), Louis-Cyprien Rials a reconstitué un herbier à et présente une sélection de plantes qui, aujourd’hui, pourraient composer le parc souhaité par l’architecte et dont la liste aurait pu lui être soumise. Il présente cette possible liste avec une envelope destinée à Le Corbusier, et portant en timbre son gymnase. Pourtant, point de trace de son nom, puisque seul celui de Saddam Hussein apparait sur le timbre. Ce faisant, il rejoint la fascination dont a témoigné maintes fois Le Corbusier pour les plantes qui s’installaient « naturellement » sur les toitures jardins de ses constructions, et témoigne d’une autre fascination (qui appartient à Louis-Cyprien Rials cette fois) pour les signes des gloires passées dans la déréliction du monde contemporain en réalisant L’Herbier rêvé de Le Corbusier.

En revisitant un édifice qui aurait pu faire partie de la liste sérielle des œuvres de Le Corbusier inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, Louis-Cyprien Rials nous parle aussi de la vanité des efforts publics au nom du progrès social dans une planète au bord de l’effondrement.

 

Guillemette Morel Journel, commissaire de l’exposition

 

En partenariat avec la Galerie Eric Mouchet.

Avec le soutien des hôtels YOOMA Urban Lodge.