Maison Dom-Ino
Sans lieu, 1914
Extrait de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre complète, volume 1, 1910-1929
« L’intuition agit par éclairs inattendus. Voici en la conception pure et totale de tout un système de construire, envisageant tous les problèmes qui vont naître à la suite de la guerre et que le moment présent a mis à l’actualité. C’est quinze ans après seulement, en et à l’occasion de la Loi Loucheur que Le Corbusier et Jeanneret peuvent appliquer intégralement les principes de la maison « Dom-Ino ». Il a fallu quinze années d’expérimentation. de mise au point localisée sur les divers détails du système. pour permettre d’atteindre à la réalisation.
Le problème posé était le suivant les premières dévastations de la grande guerre dans les Flandres en septembre 1914. « La guerre devait durer trois mois seulement! » « On devait reconstruire les villages détruits en quelques mois aussi! » Le cauchemar serait ainsi vite oublié. (Tel était le bon sens public des gens au pouvoir auquel on aime tant à se référer!).
On a donc conçu un système de structure – ossature – complément indépendant des fonctions du plan de la maison: cette ossature porte simplement les planchers et l’escalier. Elle est fabriquée en éléments standard, combinables les uns avec les autres, ce qui permet une grande diversité dans le groupement des maisons. Ce béton armé-là est fait sans coffrage : à vrai dire, il s’agit d’un matériel de chantier spécial qui permet de couler les planchers définitivement lisses dessus et dessous au moyen d’un très simple échafaudage de poutrelles double T accrochées temporairement à des colliers qui sont fixés au sommet de chaque poteau; les poteaux de béton sont coulés à pied d’œuvre et dressés avec le système de coffrage ci-dessus. Une société technique livre en tous endroits du pays, des ossatures orientées et groupées à la demande de l’architecte urbaniste ou, plus simplement du client.
Il reste ensuite à installer une habitation à l’intérieur de ces ossatures. Le format de l’ossature « Dom-Ino », la situation toute particulière des poteaux, permettent d’innombrables combinaisons de dispositions intérieures et toutes prises de lumière imaginables en façade. On avait conçu l’idée d’une Société, sœur de la première qui vendrait, elle, tous les éléments de l’équipement de la maison, c’est-à-dire, tout ce qui peut être fabriqué en usine en grande série, suivant des mesures standard et répondre aux multiples besoins d’un équipement rationnel : les fenêtres, les portes, les casiers standard servant de placards, d’armoires ou de meubles et formant une partie des cloisons. On imaginait une mise en chantier tout à fait nouvelle : on accrochait les fenêtres aux ossatures « Dom-Ino » ; on fixait les portes avec leurs huisseries et on alignait les placards formant cloison. Puis, à ce moment seulement, on commençait à construire les murs extérieurs ou les cloisons intérieures. L’ossature « Dom-Ino » étant portante, ces murs ou ces cloisons pouvaient être en n’importe quel matériaux et tout particulièrement en matériaux de mauvais choix, tels que pierres calcinées par les incendies, ou des agglomérés faits avec les déchets des ruines de la guerre, etc, etc…
En un mot, on imaginait les sinistrés établissant de leur propre initiative six, douze ou dix-huit dés de fondation mis à niveau parfait et commandant à la Société d’entreprises, une deux ou trois ossatures dominos: commandant, d’autre part, à la Société-sœur, les divers articles nécessaires à l’équipement de la maison, puis, avec des moyens de fortune et avec leurs propres forces manuelles, les sinistrés montaient eux-mêmes leur maison. Il ne restait aucune inquiétude technique: il n’y avait besoin d’aucun spécialiste: chacun pouvait monter sa propre maison à son gré.
Malgré l’individualisme de ces initiatives, le procédé technique lui-même apportait une unité fondamentale et assurait aux villages qui seraient ainsi reconstruits. des certitudes architecturales.
La technique permettait de : manifester un sentiment neuf de l’esthétique architecturale. L’analyse du problème : les régions dévastés des Flandres – permettait d’observer dans tous lus documents légués par le passé. que la fenêtre était dominante partout, que les maisons historiques des Flandres étaient, à vrai dire, des maisons de verre (Bruxelles, Louvain, Anvers, etc.) et que l’architecture de la Renaissance flamande était, en somme, d’une telle hardiesse qu’elle pouvait très bien servir d’incitatrice à une nouvelle architecture de ciment armé.
Au point de vue de l’architecture régionaliste, une première alerte survint : un député italien demanda à appliquer ces mêmes procédés pour reconstruire la Sicile dévastée par les tremblements te terre. Ce fut, en 1915, le prétexte à de premières méditations sur la venue imminente d’une architecture internationale. »