Villa Meyer
Neuilly-sur-Seine, France, 1925
© FLC/ADAGP
INFOS PRATIQUES
Projet non réalisé
Lettre de Le Corbusier à Mme Meyer
Madame,
Nous avons rêvé de vous faire une maison qui fût lisse et unie comme un coffre de belle proportion et qui ne fût pas offensée d’accidents multiples qui créent un pittoresque artificiel et illusoire et qui sonnent mal sous la lumière et ne font qu’ajouter au tumulte d’alentour. Nous sommes en opposition avec la mode qui sévit dans ce pays et à l’étranger de maisons compliquées et heurtées. Nous pensons que l’unité est plus forte que les parties. Et ne croyez pas que ce lisse soit l’effet de la paresse; il est au contraire le résultat de plans longuement mûris. Le simple n’est pas le facile. Au vrai, il y aurait eu de la noblesse dans cette maison dressée contre le feuillage.
(1)…
(2) …. La porte d’entrée serait sur le côté; et pas dans l’axe. Serions-nous passibles des foudres de l’académie? ….
(3) …. le vestibule, grand, inondé de lumière, …. vestiaire, toilette s’y dissimulent. Du service on y atteint sans détour. Et si l’on monte d’un étage, c’est pour joindre le salon haut, hors de l’ombre des futaies, et donner de là-haut la magnifique vue sur les feuillages. Et voir davantage du ciel…. S’ils sont bien logés, les domestiques, la maison sera bien tenue. Pas de combles, puisqu’on y mettra un jardin, un solarium et une piscine.
(4) …. Du salon, on domine donc, la lumière afflue. Entre le double vitrage de la grande baie on a installé une serre-chaude qui d’un coup neutralise la surface refroidissante du verre: là, des grandes plantes bizarres, qu’on voit dans les serres des châteaux ou des amateurs; un aquarium, etc….. Par la petite porte qui est dans l’axe de la maison, on file vers le font du jardin par une passerelle, sous les arbres, pour y déjeuner ou y dîner….
(5) …. cet étage est une seule salle, salon, salle à manger, etc., bibliothèque. Ah oui, le tambour de service! Au beau milieu. Bien sûr! Pour qu’il serve à quelque chose. On le fait avec des briques de liège qui l’isolent comme une cabine de téléphone ou un thermos. Drôle d’idée! Pas tant que ça …. C’est simplement naturel. Le service traverse la maison de bas en haut, comme une artère. Où donc le placer mieux?…. Ses murs du fond et ceux du tambour pourraient être gaînés. On voit le boudoir – avec les meubles casiers.
(6) …. le boudoir voit les feuillages des grands arbres et l’espèce de salle à manger d’été. Si l’on veut jouer la comédie, l’on peu s’y vêtir, et deux escaliers permettent de descendre sur la scène, qui est au devant du grand vitrage ….
(7) …. le service monte jusqu’à cette porte qui est à côté de la piscine. Derrière la piscine et le service on prend le petit déjeuner (le premier dessin le montre bien). Du boudoir, on a monté sur le toit où ne sont ni tuiles, ni ardoises, mais un solarium et une piscine avec de l’herbe qui pousse contre les joints des dalles. Le ciel est dessus: Avec les murs, autour personne ne nous voit. Le soir on voit les étoiles et la masse sombre des arbres de la Folie St-James. Avec des écrans coulissants on s’isole complètement.
(8) … Comme à Robinson, comme un peu sur les peintures de Carpaccio. Divertissement….Ce jardin n’est point à la française mais est un bocage sauvage où l’on peut grâce aux futaies du Parc St-James se croire loin de Paris….
…. Les services reçoivent le plein soleil, tant mieux. Par les fenêtres, haut placées, sous le plafond, on voit du ciel et des arbres…. Tant mieux.
Ce projet, Madame, n’est pas né d’un coup sous le crayon hâtif d’un dessinateur de bureau, entre deux coups de téléphone. Il a été longuement mûri, caressé, en des journées de calme parfait en face d’un site hautement classique.
Ces idées …. ces thèmes architecturaux qui portent en eux une certaine poésie sont assujetties à la plus rigoureuse règle constructive…. Douze poteaux de béton armé à des distances toutes égales portent à peu de frais les planchers. Dans la cage de béton ainsi constituée, le plan joue avec une simplicité telle qu’on est tenté (combien tenté!) de le prendre pour bête …. on est accoutumé depuis des années à voir des plans qui sont si compliqués qu’ils donnent l’impression d’hommes portant leurs viscères au-dehors. Nous avons tenu à ce que les viscères soient dedans, classés, rangés, et que seule une masse limpide apparût. Pas si facile que celai A vrai dire c’est là la grande difficulté de l’architecture: faire rentrer dans le rang.
Ces thèmes architecturaux nécessitent pour que la poésie en jaillisse, des contiguïtés sévères difficiles à résoudre. La chose faite, tout apparaît naturel, facile. Et c’est bon signe. Mais lorsqu’on a commencé à jeter les premières lignes de la composition, tout était confusion.
Si la structure et le plan sont extrêmement simples, on peut admettre que l’entrepreneur sera moins exigeant. Ce qui compte. Cela compte même énormément et cette pénible astriction à l’économie ne devient pardonnable que lorsque la solution chante alors …. la louange des architectes! Cette dernière manifestation de fatuité n’a lieu que pour faire sourire. Car il faut bien un peu rire….
Paris, octobre 1925. Le Corbusier et Pierre Jeanneret
Extrait de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Oeuvre complète, volume1, 1910-1929