Ville Radieuse
Sans lieu, 1930
© FLC/ADAGP
Extrait de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre complète, volume 2, 1929-1934
« Si Le Corbusier est à l’initiative de ce jeu qui reprend la thématique et le design de la Ville Radieuse, c’est grâce à l’aide apportée par Albin Peyron que le projet démarre. Ce dernier conçoit une part importante de l’étude de ce jeu de société. Par manque de temps les deux hommes travaillent à distance en noircissant un cahier d’écolier par va et vient (que Peyron remplira quasiment seul). La conception précise du jeu (plateau, assemblage, boîtage) est dans un premier temps conçu par Peyron. Le système semble assez complexe puisque sont prévus des routes, immeubles, etc. construits sur pilotis métalliques qui viennent s’emboîter sur le plateau que constitue la boîte. Le Corbusier, dont le but est de définir la ligne générale, de théoriser, d’annoter et de rectifier la réalisation du jeu, fera exécuter des plans plus aboutis par l’atelier du 35 rue de Sèvres. La représentation d’espaces verts, d’équipements sportifs, d’immeubles à redans, de garages, de larges routes sont des éléments caractéristiques de la Ville Radieuse. La boîte, nécessairement volumineuse, est pensée de façon ergonomique.
En décembre 1938, Le Corbusier obtient de l’administrateur du Printemps, Monsieur Lesage, le nom de deux fabricants de jouets parisiens : Villard & Weill ainsi que la société de Monsieur Chevalier. Le projet s’arrêtera net et la raison demeure mystérieuse : début de la 2nd guerre mondiale, système d’assemblage trop complexe réalisation trop coûteuse ou manque d’un véritable circuit commercial ?
Ce projet qui n’avait pas abouti en 1939 fut ressorti de la cave où il se trouvait à la demande de Le Corbusier. Dans une note de Noël 1950, Le Corbusier demande à Wogenscky, Ducret et au reste de ses collaborateurs de se mettre instamment au travail afin de faire un jouet pour Noël 1951. Les ambitions de Le Corbusier sont encore plus conséquentes puisqu’il envisage une diffusion européenne, nord et sud-américaine. Il envisage également un patronage du M.R.U.
Derrière l’utopie d’un produit voué à la vente (et donc à générer de l’argent), Le Corbusier croit que ce jeu peut porter ses théories urbaines. Mieux il croit que « Ville Radieuse (Le Corbusier) » peut avoir « des débouchés énormes » selon ses propres termes. Bien sûr aucune boite de jeu ne vit jamais jour !
Après la série ininterrompue des voyages d’Europe, Russie et Amérique du Sud, le sentiment des grands classements urbains et régionaux était apparu.
Etaient apparues également diverses solutions caractéristiques apportées par les techniques modernes et dictées par la topographie ou l’insolation (premières idées d’urbanisation de Buenos Aires, Monte-vidéo, Sao Paulo, Rio de Janeiro, Alger, Barcelone, Stockholm, Anvers, etc.). – Au cours des années, les éléments précis d’une doctrine d’urbanisme moderne surgirent l’un après l’autre. Aujourd’hui une véritable doctrine d’urbanisme peut être proposée à l’opinion ou à l’autorité pour répondre à la gigantesque réforme nécessaire en toutes villes et tous continents. La planche VR8 montre le contraste saisissant entre les espaces nouvellement acquis dans les quartiers d’habitation de VR (Ville Radieuse) et l’étroitesse atroce de nos villes actuelles (ici Paris, New York, Buenos Aires). Cette conquête de l’espace, fournie par les calculs et les épures, est si démesurée que l’observateur pressé n’en mesure pas la réalité. C’est pour faire saisir, objectivement, matériellement, ce nouvel état de choses, que la construction d’une grande maquette précise fut entreprise en 1935, le but étant de permettre ainsi d’établir une série de documents photographiques, donnant la sensation de la réalité. La construction de cette maquette, rigoureuse en ses moindres éléments, demanda cinq mois de travail.
Dès lors existe une série de documents photographiques capables d’exprimer éloquemment les conditions nouvelles de l’habitation dans les villes de type « Ville Radieuse ».
La thèse est connue : Surface bâtie: 12% du sol total. Surface disponible: 88% du sol total. Corps de logis sur pilotis au rez-de-chaussée, dont l’effet est de mettre le 100% du sol à la disposition des piétons. Séparation définitive de l’automobile et du piéton. Sport au pied des maisons. Constitution des nouvelles unités d’habitation, sur la base de 2700 habitants par unité. Pour chaque unité, un service complet (le circulation verticale mécanique. Institution des services communs: ravitaillement, crèches, écoles maternelles, écoles primaires, services médicaux et d’hospitalisation d’urgence, etc. (Voir « La Ville Radieuse », 1935, aux Editions de l’Architecture d’Aujourd’hui.)
Dans de telles zones d’habitation, la rue n’existe plus. La ville est devenue une ville verte. Les édifices de l’enfance sont dans les parcs. Les adolescents et les adultes pratiquent le sport quotidien au pied même de leur logis. Les automobiles passent ailleurs, là où elles sont utiles à quelque chose…
Le principe neuf d’urbanisme: « Ville Radieuse » peut-être admis ou réfuté. S’il est admis, il ouvre à l’architecture un champ de recherches très particulier. Entre autres, il pose le problème du « Pan de verre », c’est-à-dire de l’enveloppe opaque, translucide ou transparente des cubes bâtis d’habitation. Les conditions sont entièrement neuves : on peut concevoir ces immeubles d’environ cinquante mètres de haut, construits sur pilotis de béton armé depuis le sous-sol jusqu’au plafond des services communs logés à l’entresol ; au-dessus, la construction est faite d’une fine armature d’acier. La façade, par conséquent, n’est astreinte à aucune fonction statique : elle n’est qu’un voile, un écran qui ferme et met à l’abri. A l’abri du froid, du chaud, des intrus, des vents; elle apporte la lumière solaire, elle peut servir à la fuir aussi. Le pan de verre est à considérer dans les climats tempérés, dans les climats extrêmes (continentaux avec 50° de froid et 50° de chaud), tropicaux, avec une masse épaisse d’air humide, etc. Selon la latitude, le pan de verre introduira à l’intérieur le maximum ou le minimum de lumière, etc. »