Unité d'habitation
Marseille, France, 1945-1952
La commande
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la priorité du gouvernement est au relogement, à la reconstruction puis au réaménagement du territoire. À Marseille, les destructions sont importantes : les ruines s’étendent sur 10 hectares ; on compte quelques 3 600 immeubles détruits et 10 800 immeubles partiellement sinistrés.
Le 20 juillet 1945, le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme Raoul Dautry commande à Le Corbusier un immeuble collectif. De Dom-ino à la Ville radieuse en passant par les Immeubles villas et la Ville contemporaine de trois millions d’habitants, Le Corbusier propose à Marseille l’aboutissement de plus de vingt ans de recherches sur l’habitat, les liens entre l’individuel et le collectif, mais aussi la place de la nature dans l’architecture et l’urbanisme. Sa réflexion n’est pas solitaire : entre les CIAM (Congrès International d’Architecture Moderne) et la création l’ASCORAL (Association des Constructeurs pour la Rénovation Architecturale) en 1943, Le Corbusier pense l’architecture et la ville avec ses confrères.
Après plusieurs propositions, la version définitive de l’Unité d’Habitation de Marseille est adoptée en mars 1947. Le terrain choisi se situe dans les quartiers bourgeois du sud de Marseille, entre colline et mer. L’Unité d’Habitation est conçue par Le Corbusier et son atelier dirigé par André Wogenscky, et l’Atelier des Bâtisseurs (ATBAT), fondé par Le Corbusier et dont il a confié la conduire à Vladimir Bodiansky.
Le projet
À la fois expérimentation architecturale, concept urbanistique et expérience sociale, l’Unité d’Habitation de Marseille rassemble 330 logements au confort moderne ainsi que des espaces collectifs. L’immeuble mesure 135 m de long, 24 m de large, 56 m de haut. L’Unité est montée sur pilotis afin de ménager l’espace au sol tant pour la verdure que pour le passage des piétons et des voitures. L’usage des pilotis est un élément essentiel de la Ville verte pensée par Le Corbusier. L’immeuble est d’ailleurs implanté au centre d’un parc arboré.
L’Unité d’Habitation est réalisée au Modulor et son ossature est en béton armée coffrée in situ. Les façades sont tantôt brutes, tantôt peintes, comme au niveau des loggias. Les logements sont accessibles à partir du vaste hall d’entrée qui dessert les ascenseurs et escaliers.
Les appartements se répartissent en 23 types différents, assemblés sur le principe du « casier à bouteilles », c’est-à-dire que les appartements sont construits dans une ossature indépendante de poteaux et de poutres en béton armé. Ils reposent sur une structure primaire dite « sol artificiel », un réseau de poutres transversales et longitudinales.
Ces 23 types sont conçus à partir de huit combinaisons rendues possible par l’utilisation de trois modules standards. Le premier module réunit l’entrée, le couloir, la cuisine et le séjour ; le second est occupé par la chambre parentale et le bloc sanitaire tandis que le troisième module est destiné à deux chambres d’enfants.
Si leurs tailles varient (du logis pour célibataire à l’appartement pour une famille de huit enfants), leur organisation est similaire. Les appartements, à l’exception de ceux de la façade sud, sont traversants. Ils se développent en duplex, dont les deux étages sont reliés par un escalier issu de la collaboration entre Jean Prouvé, les ateliers de Nancy et Le Corbusier. Ils sont conçus de manière standardisée, en différentes cellules indépendantes : les logements n’ont pas de contact entre eux, ils sont isolés phoniquement afin de garantir l’intimité de chaque famille. Marqué par sa visite de la Chartreuse d’Ema en 1907, Le Corbusier tient à ce que chaque logement soit indépendant dans l’unité.
Les logements sont tous équipés du confort moderne : eau courante, chauffage central, sanitaires et système de ventilation. Les meubles-cuisines, conçues par Le Corbusier, l’ATBAT, avec Simone Galepin à partir d’une proposition de Charlotte Perriand, sont équipées comme des laboratoires (cuisinière électrique, vide-ordure, armoires frigorifiques, nombreux rangements).
Les appartements bénéficient tous d’une loggia dans le salon avec des baies vitrées à doubles vitrages qui laissent entrer pleinement la lumière en hiver, et qui, grâce à ses brise-soleils, la filtrent en été.
Les appartements sont desservis par un système de rues intérieures, qui permettent non seulement l’accès au logement par les occupants, mais aussi la dépose des commissions par l’épicier de l’Unité et la remise du courrier. Le Corbusier pense en effet l’Unité d’Habitation comme une véritable ville verticale qui abrite une rue commerçante à double niveau, aux 7e et 8e étages. On trouve donc, au sein de l’immeuble, de nombreux commerces et même un hôtel-restaurant pouvant accueillir les familles des habitants.
Le toit de l’Unité d’Habitation est aussi entièrement exploité. Ce toit-terrasse de 300m2 comporte une piste de course, un gymnase, un théâtre en plein air, une école maternelle avec une pataugeoire, et une halte-garderie au-dessus, aujourd’hui atelier de peinture.
Le jardin est éclairé par des bornes béton lumineuses. On y trouve également la « Stèle des mesures » ainsi qu’un poste de collecte des ordures.
L’Unité d’Habitation de Marseille est inaugurée le 14 octobre 1952. À cette occasion, Eugène Claudius-Petit, alors ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, remet à Le Corbusier les insignes de Commandeur de la Légion d’Honneur.
Le devenir de la Cité Radieuse
Rapidement devenue un symbole de l’architecture moderne et une œuvre fondatrice du Brutalisme, la Cité Radieuse de Marseille un exemple remarquable de l’équilibre entre l’habitat individuel et le collectif ; elle est toujours habitée sous forme d’une copropriété aujourd’hui. Elle a influencé de nombreux projets ultérieurs. Elle est la première Unité d’Habitation construite ; Rezé-les-Nantes, Berlin, Briey en Forêt et Firminy suivront.
Le gymnase de l’Unité d’Habitation de Marseille abrite depuis 2013 le Mamo (Marseille Modulor), centre d’art contemporain du designer Ora Ito. La rue commençante comprend toujours une librairie spécialisée dans l’architecture, un hôtel, un restaurant, une galerie d’art et une supérette, etc. L’école maternelle sur le toit terrasse est toujours en activité.
La Cité Radieuse fait l’objet de plusieurs protections, en plus d’être labellisée Architecture contemporaine remarquable, elle fait partie de la Série inscrite au Patrimoine mondial. Les façades sont inscrites en 1964, sous l’impulsion de Le Corbusier. Depuis 1986 sont classés les façades, les terrasses et ses aménagements, l’ensemble du portique et l’espace qu’il abrite. À l’intérieur, sont classées les parties communes : le hall d’entrée, les espaces de circulation avec leurs équipements (ascenseurs exceptés), l’appartement n°643, aujourd’hui destiné à la visite par l’Office de Tourisme de la ville de Marseille. Un autre appartement privé, le n°50, ayant appartenu à Lilette Rippert, première institutrice de l’école maternelle sur le toit, est classé en totalité depuis 1995. Depuis l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial, le processus pour classer également le jardin, parc public appartenant à la Ville de Marseille, et le poste de collecte des ordures a été initié.
L’ensemble des façades a été restaurée depuis 2007, à partir de la façade Ouest. Le toit terrasse, l’étanchéité, la cheminée, et des ouvrages divers, ont été restaurés entre 2010-2011 suivis par la restauration de la chaufferie, du solarium attenant au gymnase sur le toit terrasse. La casquette de l’entrée et les façades de l’école maternelle, ont été restaurées en 2022. Le poste de collecte des ordures, classé en totalité depuis peu, est en cours de restauration.