Salubra, claviers de couleur
Le Corbusier, 1931
© FLC/ADAGP
Salubra, c’est de la peinture à l’huile vendue en rouleaux.
Au lieu d’étendre la couleur en trois couches, sur les murs et les plafonds, dans un chantier plein d’ouvriers, on collera désormais « cette peinture à la machine », en dernière minute.
Salubra est exécutée sur un support sain, durable, à la fois souple et résistant, avec des couleurs fines, dont la pureté a été préalablement éprouvée par des chimistes. Elle est inaltérable et lessivable.
A l’architecte toujours plus ou moins à la merci d’une malfaçon d’ouvrier peintre, Salubra offre une grande tranquillité, assurant avec une proportion d’huile et de couleurs toujours justes, une qualité constante de ton et de matière.
Le choix des tons ne se fera plus dans les aléas et les incommodités d’un chantier. Grâce à « la peinture à l’huile en rouleaux » il se fait avec sécurité, posément et sûrement, dans un recueil raisonné d’échantillons qui sont des morceaux mêmes de l’exécution.
Chacun de nous, suivant sa psychologie propre, est commandé par une ou plusieurs couleurs dominantes. Chacun va vers telle ou telle harmonie dont a besoin sa nature profonde. II s’agissait de mettre chacun en état de se reconnaître soi-même en reconnaissant ses couleurs.
C’est la raison des présents CLAVIERS.
Ils comportent 43 tons. J’aurais pu en admettre bien davantage. Pour établir cette sélection, je suis resté sur le seul terrain de l’architecture, après avoir pris soin de contrôler que mon goût personnel était conforme aux prédilections constantes de l’homme sain qui, depuis l’origine du monde, quelles que soient sa race et sa culture, a fait appel à la polychromie pour manifester sa joie de vivre.
Les deux lunettes qui accompagnent la collection permettent de préciser définitivement le choix en isolant soit deux tons, soit trois tons, sur deux valeurs de fond.
En superposant les deux lunettes, on isole un seul ton sur deux valeurs de fond. La collection comporte des nuances éminemment architecturales, d’une valeur murale certaine, de qualité spécifique; ce sont les bandes horizontales des diverses planches. Cela me paraît si important que j’ai baptisé chacune de ces ambiances colorées d’un nom qui détermine la qualité de leur signification murale: « espace », « ciel », « velours », « mur », « sable ».
Les trois planches supplémentaires dites: «bigarrées» offrent des accords plus accidentels. Il n’y faut chercher ni ordre, ni intention; on y trouvera simplement des contiguïtés curieuses.
Ces Claviers de couleurs font appel à l’initiative personnelle, après l’avoir placée sur des bases authentiques. Ils me paraissent pouvoir devenir un instrument de travail exact et efficace qui permettra d’établir rationnellement, dans la demeure moderne, une polychromie strictement architecturale, accordée à la nature et aux nécessités profondes de chacun.
LE CORBUSIER.
Nota : La collection des «unis» est accompagnée d’une série de modèles à « semis ». Il faut prendre bien garde à ceci : L’emploi de certains de ces semis réclame la plus grande prudence; ils sont destinés à apporter une animation particulière au mur en des endroits où l’œil se repose rarement, tels que plafonds, niches, soubassements, panneaux localisés : les appliquer sur la totalité des murs d’une chambre pourrait conduire à une insupportable fatigue des yeux. Ces modèles « à semis » sont une fantaisie accessoire.